mercredi 10 février 2016

Cole Valley Cafe, part. 2


1645e jour - Et donc, elle s’est installée à côté de moi. Tout en feignant d’être absorbé par un article du Chronicle, je l’ai discrètement observée. Elle a d’abord semblé se perdre dans la contemplation des distributeurs de journaux de l’autre côté de la vitrine avant, finalement, de sortir un ordi à son tour et de l’allumer.
Si je sais qu’elle est française, c’est parce que, faisant semblant de me retourner pour m’intéresser à l’ardoise des plats, j’ai jeté un œil à un mail qu’elle était en train d’écrire. Au vol, j’ai relevé une phrase : “Je te laisse une adresse à San Francisco au cas où tu veuilles m’écrire.”
Plus tard, elle est allée sur Instagram. Elle a fait défiler des images…
J’ai réussi à repérer son pseudo (3lisevidal).
J’ai failli lui adresser la parole, en anglais bien sûr. Ça aurait été amusant de lui laisser découvrir que j’étais également français… Mais je n’ai pas trouvé de bon prétexte.
Quand elle a éteint sa machine, qu’elle a rangé ses affaires, je me suis demandé si j’allais la suivre. Mais je ne l’ai pas plus suivie que je ne lui ai parlé. Je me suis contenté de la voir disparaître, veste sombre, robe noire et collants, longs cheveux.
Maintenant, dans l’intimité de ma chambre d’hôtel, j’explore son compte Instagram comme s’il s’agissait d’un journal intime. Je découvre qu’elle a passé ces derniers jours à écumer les lieux de culture de la Baie – California College of Arts, Contemporary Jewish Museum…. Je découvre qu’elle s’est promenée dans Chinatown ou du côté d’Union Square, et qu’elle a également fait un tour, bien sûr, du côté du Golden Gate…
Avant-hier, elle a photographié un panneau de bois sur lequel est gravé : “Today is the first day of the rest of your life”.
Faisant défiler les images, je remonte le fil de son existence, j’explore… Sa vie parisienne (elle est à San Francisco depuis une dizaine de jours seulement)… des portraits d’elle, souvent coiffée (bonnets, capuches, chapkas)… des photos de soirées (je découvre les visages de ses proches, en France ou ailleurs)… des œuvres exposées dans des musées, en gros plans, des projections sur des écrans, des groupes sur scène, saisis de la fosse… d’autres portraits d’elle… des scènes d’escrime, entraînements, compétitions…
Je me familiarise avec ce visage à peine aperçu : sa frange coupée droite sur son front, ses grands yeux noirs… Sur une des photos, elle s’amuse à loucher, derrière elle, une inscription : “Art & Beauty”…
Dans Éclats d’Amérique, il y a deux ans, c’est marrant, j’avais imaginé l’histoire d’un type qui essaye de retrouver une fille en traquant les photos d’elle sur Instagram. J’ai bien l’impression que je suis prêt à faire en sorte que la réalité rattrape la fiction. Je ne sais pas pour combien de temps encore elle est ici mais avec un peu de chance, si je suis réactif, quelque part dans la ville, je finirai par la retrouver.

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